Emmanuel Frémiet
Paris, 1820 – id., 1910
Gorille enlevant une femme
1887
Plâtre teinté
187 x 167 x 100 cm
Dépôt de l’État, 1895
Inv. 1793
Issu d’un milieu modeste, Frémiet se forma jeune chez son oncle, le sculpteur François Rude, et ne fréquenta ni l’École des beaux-arts ni l’Italie. Il travailla ensuite plusieurs années comme peintre d’animaux au Muséum d’histoire naturelle de Paris et y apprit la dure discipline du dessin scientifique. En sculpture, il se consacra d’abord à l’art animalier, traitant d’animaux familiers, grandeur nature et dans des attitudes simples, avec un style précis, « non sensible ». Mais pour gagner une place plus noble dans la hiérarchie et être reconnu comme statuaire, il introduisit la figure humaine : sous le Second Empire, dans des groupes présentant des affrontements entre l’homme et l’animal, puis après 1870, dans des sujets historiques (Jeanne d’Arc). Après 1880, il fut très célèbre et reçut tous les honneurs.
Si son Combat d’ours et d’homme fit sensation au Salon de 1850, ce fut un véritable scandale que déclencha Gorille enlevant une négresse au Salon de 1859 : refusé par le jury, le groupe fut présenté derrière un rideau à l’entrée de l’exposition sur ordre du vicomte de Nieuwerkerke, puis finalement détruit par malveillance quelques mois plus tard ! En effet, en 1859 parut l’ouvrage de Charles Darwin sur l’évolution et le Gorille de Frémiet apparut presque comme engagé ; de plus, il choqua la morale car pour beaucoup, y compris pour Baudelaire, il représentait un viol.
Frémiet présenta en 1887 une seconde version du thème sous le titre « Gorille – groupe plâtre, Troglodytes Gorilla (sav.) – du Gabon ». Il fut cette fois récompensé par une médaille d’honneur. En citant le nom savant de l’animal, Frémiet situait clairement son projet sur le seul plan scientifique ; il avait pour cela longuement travaillé au Muséum où il espérait bien que ce groupe pourrait figurer en bronze (le gouvernement ne donna pas suite). Il avait également fait des recherches précises sur l’outillage de pierre des hommes préhistoriques ou primitifs et le gorille tient en main un caillou qui ressemble à un biface du paléolithique. Quant à la femme enlevée, on comprend qu’elle appartient à une tribu de chasseurs de gorilles (les flèches ou javelots qui ont blessé l’animal ont disparu mais on en voit les trous d’impact dans le dos) et elle porte comme parure dans ses cheveux une demi-mâchoire de gorille. La composition est dynamique, toute en tension dans l’espace et le traitement anatomique des protagonistes d’un vérisme absolu.
Une telle représentation évoque pour nous le King Kong du cinéma américain (1933).
Claude Allemand-Cosneau
Extrait du Guide des collections du Musée d'arts de Nantes
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