Gustave Courbet
Ornans (Doubs), 1819 – La Tour de Peilz (Suisse), 1877
Les Cribleuses de blé
1854
Huile sur toile
131 x 167 cm
Achat au Salon de Nantes, 1861
Inv. 874
Né en Franche-Comté, Courbet, fils d’un propriétaire agricole aisé, quitte ses études de droit à Paris pour se consacrer à la peinture. Il dira n’avoir eu aucun maître, mais copie les maîtres anciens au musée du Louvre.
Ses débuts au Salon sont marqués par la présentation en 1844 d’un Portrait de l’auteur avant que ses œuvres n’y soient refusées. Il met à l’honneur des sujets ruraux et traités selon un style « réaliste », qui le rendent célèbre comme Une après-dînée à Ornans (Lille, Palais des Beaux-Arts). L’Enterrement à Ornans (1849-1850, Paris, musée d’Orsay) fait scandale.
En 1855, il fait construire son propre « Pavillon du réalisme », exposant ses tableaux refusés à l’Exposition universelle. Il y présente L’Atelier du peintre (Paris, musée d’Orsay), où ses amis sont représentés, comme le critique Champfleury, Charles Baudelaire et son protecteur montpelliérain Alfred Bruyas. Courbet expose toute sa vie des natures mortes, des portraits, des scènes de chasse et des paysages. Très engagé en politique, Courbet est proche de Proudhon. Il adhère à la Commune en 1871 mais doit s’exiler en Suisse lors de la répression par les Versaillais, accusé d’avoir voulu démolir la colonne Vendôme.
Les Cribleuses de blé fut commencé en 1853. Dans une lettre adressée à Champfleury à l’automne 1854, Courbet précise : « J’ai un tableau de mœurs de campagne qui est fait, des cribleuses de blé qui entre dans la série des Demoiselles de village, tableau étrange aussi. » Après sa présentation au Salon de Nantes en 1861, il fut acquis par le musée pour 4 000 francs. Courbet l’avait déjà exposé avec pour titre Les Cribleuses de blé ou les enfants des cultivateurs du Doubs.
Il considère son œuvre à la fois comme une scène de genre et un portrait de groupe. Les Cribleuses appartient à une série traitant des scènes rurales telles que Les Demoiselles de village (1852, New York, Metropolitan Museum of Art) ou La Fileuse endormie (1853, Montpellier, musée Fabre).
L’œuvre n’a cessé d’interroger le spectateur. Traitée dans des tonalités claires, elle met en valeur les sœurs de Courbet qui prennent la pose pour une scène qu’elles n’ont sans doute jamais exécutée en vrai : de dos, au centre, Zoé crible le blé, et Juliette assise trie le grain, tandis qu’un jeune garçon, sans doute Désiré Binet, le fils de Courbet alors âgé de six ans, observe l’intérieur d’un tarare. Le travail absorbe les êtres. Les détails sont nombreux : les sacs de farine, les bols, le drap, le chat en boule sont autant d’indices d’une vie paysanne finement perçue. L’espace ne présente aucun point de fuite. Bien proportionnée, la cribleuse, vue de trois quarts, les genoux à terre, donne l’impression de faire une offrande à quelque divinité. Son bras, vigoureux et tendu, rappelle celui de la Sibylle libyenne de Michel-Ange à la chapelle Sixtine (1510).
Courbet utilise une matière épaisse travaillée à la brosse et au couteau en affinant les détails au pinceau. L’attention est concentrée sur les grains de blé tombant du crible sur le drap clair. On peut y voir aussi une lecture du progrès agricole, depuis la sélection à la main, puis au tamis et au tarare.
Le critique Michael Fried a émis une hypothèse qui parut séduisante : le tableau représenterait une métaphore de la peinture même ; l’artiste se projetterait dans la cribleuse, les grains de blé incarneraient le pigment, tandis que le drap symboliserait la toile. Le contexte renvoie toutefois à l’intention de Courbet : réhabiliter la vie campagnarde en abrogeant les sujets de l’histoire antique et académique. Il rivalise avec Le Vanneur de Jean François Millet exposé au Salon en 1848 (Londres, National Gallery). Courbet renverse ainsi l’échelle des valeurs et révolutionne la peinture de Salon, ce qui lui vaut la gloire du scandale.
Cyrille Sciama
Extrait du Guide des collections du Musée d'arts de Nantes
Domaine public - Crédit photographique : © Musée d'arts de Nantes - C. Clos