Jean-Léon Gérôme
Vesoul, 1824 – Paris, 1904
Tête de femme coiffée de cornes de bélier
1853
Huile sur toile
Diam. 47,5 cm
Achat au Salon de Nantes, 1854
Inv. 987
Lorsque, tout jeune artiste, Gérôme, élève de Paul Delaroche, exposa pour la première fois au Salon à Paris, en 1847, Jeunes Grecs faisant battre des coqs (Paris, musée d’Orsay), il obtint le soutien immédiat de Théophile Gautier qui vanta son « élégance rare » et sa « distinction exquise ». La mode du néogrec avait cours depuis une dizaine d’années, dans les ateliers du Chalet, rue de Fleurus, les « Barbus » – Gérôme, Picou, Hamon ou Toulmouche – peignaient des sujets aimables, à l’esthétique hellénistique ou pompéienne, dans des tons suaves et d’une facture très lisse renforçant l’impression poétique. Ils trouvaient leur inspiration chez Anacréon, Théocrite ou André Chénier et inventaient un monde idyllique, dans une Grèce rêvée, loin de toute préoccupation sociale ou historique contemporaine. Cette réaction idéaliste fut vivement combattue par les défenseurs de Courbet et du réalisme, comme Champfleury qui les rangea impitoyablement sous la bannière d’Ingres.
Dans cet étonnant tondo, la figure féminine aux épaules dénudées est vêtue d’un étrange costume recouvert de fourrure avec des manches soyeuses à crevés et porte sur la tête de belles cornes de bélier recourbées surgies de sa chevelure rousse ondulée. Les traits du visage lui-même sont ambigus : le nez dans le prolongement d’un front légèrement bosselé, les yeux baissés comme un jeune animal craintif ; le personnage a, discrètement, quelque chose d’un mutant, et nous renvoie presque aux études physiognomoniques de Charles Le Brun.
Est-ce l’image d’une jeune fille apprêtée pour un bal costumé ou un personnage mythologique ? Ni la littérature ni l’iconographie gréco-romaine ne font allusion à une femme aux cornes de bélier, et l’on doit penser qu’il s’agit d’une figure de fantaisie, à l’antique ou peutêtre inspirée d’oeuvres de la Renaissance italienne.
Le tableau possède en tout cas un charme mystérieux. Le style de Gérôme est très précis, presque précieux : la touche fine et le souci du détail confèrent au personnage une présence troublante.
Claude Allemand-Cosneau
Extrait du Guide des collections du Musée d'arts de Nantes
Domaine public - Crédit photographique : © Gérard Blot / RMN - Grand Palais des Champs Elysées